Depuis trente-deux ans, le cĂ©lĂšbre parc de loisirs repousse les limites du spectacle pour Ă©mouvoir les foules. Au prix de prouesses insoupçonnĂ©es... Bertrand Desprez pour l'Express Ce soir, la "colline aux hĂȘtres" -l'Ă©tymologie du Puy du Fou- va rĂ©sonner une nouvelle fois aux sons de la CinĂ©scĂ©nie. Il est 22 h 30 et le spectacle nocturne, jouĂ© Ă guichets fermĂ©s, dĂ©marre. Au milieu des 14 000 visiteurs, Philippe de Villiers observe. DĂšs qu'il le peut, le prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral de VendĂ©e assiste aux reprĂ©sentations. Parfois, un dictaphone accrochĂ© autour du cou, il commente les scĂšnes en direct ici, deux chevaux caparaçonnĂ©s de rouge se suivent par erreur; lĂ , les figurants sont arrivĂ©s avec un temps de retard... Le feu d'artifice final Ă peine achevĂ©, le crĂ©ateur de la CinĂ©scĂ©nie se prĂ©cipite dans la rĂ©gie centrale et s'empare d'un micro qui diffuse dans les cinq villages d'acteurs bĂ©nĂ©voles rĂ©partis autour de l'immense scĂšne Ă ciel ouvert. "Bonsoir, c'est Philippe de Villiers. Bravo! C'Ă©tait une trĂšs belle soirĂ©e, mĂȘme si le vent ne nous a pas Ă©tĂ© favorable. Ne vous relĂąchez pas. Demain, on attend encore beaucoup de monde." VoilĂ trente-deux ans que le succĂšs du Puy du Fou ne se dĂ©ment pas. L'annĂ©e derniĂšre, la frĂ©quentation du parc de loisirs a atteint le chiffre record de 1,5 million de visiteurs, dont 400 000 pour la CinĂ©scĂ©nie. Une rĂ©ussite incroyable, si l'on en juge par les dĂ©buts Ă©piques. "En 1977, je n'avais ni argent ni expĂ©rience, et je n'Ă©tais mĂȘme pas originaire du haut bocage, raconte Philippe de Villiers, encore surpris par une telle audace. Et je voulais crĂ©er, Ă 28 ans, un spectacle grand public devant une ruine perdue au milieu de nulle part. Mon seul atout, c'Ă©tait de rĂ©ussir Ă Ă©mouvoir..." Le jeune Ă©narque a donc pris la plume pour narrer la guerre de VendĂ©e et la fiertĂ© chouanne. Et montĂ© son premier "son et lumiĂšre" avec les moyens du bord, la scĂšne Ă©clairĂ©e par des phares de 2 CV. Depuis, l'homme politique continue d'Ă©crire les scĂ©narios de l'ensemble des spectacles, tous construits Ă partir d'un Ă©pisode romancĂ© de l'histoire de France. "La scĂšne de la CinĂ©scĂ©nie consacrĂ©e Ă la guerre de 1914-1918 manque vraiment de souffle, confie-t-il. Il faut que je la reprenne..." "Nous ne suivons jamais un raisonnement marketing"L'Ă©motion tel est le maĂźtre mot qui guide, aujourd'hui encore, les dirigeants du Puy du Fou; la carte maĂźtresse par laquelle ils espĂšrent attirer toujours plus de public... et le faire revenir. "A l'inverse de nos concurrents, nous ne suivons jamais un raisonnement marketing pour concevoir nos productions, assure Nicolas de Villiers, 31 ans et fils de Philippe, qui prĂ©side depuis 2004 aux destinĂ©es du parc de loisirs. Chez nous, l'artistique commande toujours." Offre limitĂ©e. 2 mois pour 1⏠sans engagement A l'en croire, il n'existe pas davantage de "business plan" ou de projet stratĂ©gique, mais un processus permanent de crĂ©ation menĂ© par trois "tĂȘtes chercheuses" le pĂšre et le fils de Villiers, mais aussi Laurent Albert, le directeur gĂ©nĂ©ral. Leur objectif? Mettre sur pied, au minimum, une grande nouveautĂ© par an. "Nous visitons les parcs d'attractions du monde entier pour ne surtout pas faire pareil", sourit Nicolas de Villiers. C'est dans un salon d'attente de l'aĂ©roport de Prague que Laurent Albert eut l'idĂ©e extravagante de rendre mobile le dĂ©cor du Secret de la lance, la derniĂšre-nĂ©e des crĂ©ations puyfolaises. Extravagante, car le donjon de 18 mĂštres, bien que creux et en rĂ©sine, pĂšse tout de mĂȘme ses 118 tonnes! La solution fut trouvĂ©e en s'inspirant de la technologie utilisĂ©e sur le pas de tir des fusĂ©es Ariane. Le donjon est montĂ© sur matelas pneumatique, dotĂ© de six essieux pivotants et d'un groupe Ă©lectrogĂšne embarquĂ©. L'effet scĂ©nique est Ă©poustouflant, tout comme la disparition du rempart du chĂąteau pour laquelle il a "suffi" de creuser une tranchĂ©e de 10 mĂštres de profondeur et 50 mĂštres de largeur. "Au dĂ©part, toutes les idĂ©es sont impossibles", s'amuse Laurent Albert... "La technique est trop sĂ©rieuse pour la confier aux seuls techniciens, renchĂ©rit Philippe de Villiers. Mieux vaut s'en remettre aux poĂštes." Les inventions les plus folles naissent ainsi sans contrainte. Leur faisabilitĂ© est ensuite Ă©tudiĂ©e par les hommes de l'art, souvent galvanisĂ©s par le dĂ©fi. Et pour la rĂ©alisation, le parc de loisirs n'hĂ©site pas Ă recourir aux meilleurs spĂ©cialistes les compositeurs de musique Nick Glennie-Smith et Carlos Nuñez, le dompteur Thierry Leportier, les dresseurs Carlos Pinto, Lucien Gruss et Mario Luraschi, le cascadeur Michel Carliez, etc.. Avec un souci constant sortir de l'image de "grande kermesse sympathique" qu'on accole encore souvent au Puy du Fou. Un jour, Philippe de Villiers eut l'envie de faire marcher les acteurs sur l'eau. Un pari insensĂ©, devenu rĂ©alitĂ© en 2009 avec Les Orgues de feu. Au dĂ©marrage de cette fĂ©erie nocturne, une violoniste Ă©merge des profondeurs d'un lac avant de glisser, tel un cygne, Ă la surface de l'eau dans un jeu Ă©lĂ©gant de sons et de lumiĂšres. BientĂŽt, d'autres concertistes surgissent Ă leur tour des abysses, avec leurs instruments luminescents. Pour parvenir Ă ce rĂ©sultat, il a fallu installer des rails sous-marins, multiplier les formations de scaphandriers pour les acteurs hydrophiles... et prĂ©voir la prĂ©sence de plongeurs, tout au long du spectacle, pour assurer leur sĂ©curitĂ©. Tout aussi dĂ©mesurĂ©e, l'idĂ©e de construire un stadium gallo-romain dans un pĂąturage en 2001. Ce petit ColisĂ©e de 6 500 places tout de mĂȘme! doit notamment servir Ă organiser des courses antiques. Sauf que personne n'est en mesure de conduire des quadriges, ces engins Ă deux roues attelĂ©s Ă quatre chevaux de front. Plus de 200 courses de chars romains par anIl a donc fallu chercher Ă l'Ă©tranger ces virtuoses et les convaincre de rejoindre la VendĂ©e. "Aujourd'hui, sur les 15 auriges en exercice que compte la planĂšte, 9 sont prĂ©sents au Puy du Fou", s'enorgueillit Philippe de Villiers. Un atout indispensable pour effectuer plus de 200 courses par an. L'imagination se heurte quand mĂȘme, parfois, au principe de rĂ©alitĂ©. Il fallut ainsi renoncer, aprĂšs de vaines tentatives, Ă inonder le stadium dans l'espoir de reproduire les naumachies combats navals romains. Peu importe! L'idĂ©e fut recyclĂ©e quelques annĂ©es plus tard pour Mousquetaire de Richelieu. La scĂšne de cette exhibition mi-danse mi-cape et Ă©pĂ©e s'imprĂšgne peu Ă peu d'eau grĂące Ă une technique astucieuse de drains inversĂ©s. Et les chevaux achĂšvent magnifiquement leur progression dans des gerbes colorĂ©es... Les animaux sont omniprĂ©sents au Puy du Fou. Et les limites du pensable sans cesse repoussĂ©es. "Notre slogan, c'est la technologie de haut niveau au service de la magie du Moyen Age", rĂ©sume Jean-Louis LiĂ©geois, le responsable de l'AcadĂ©mie de fauconnerie. Dans Le Bal des oiseaux fantĂŽmes, jouĂ© de deux Ă cinq fois par jour devant 3 000 personnes, des rapaces s'envolent d'un ballon gĂ©ostationnaire de 600 mĂštres cubes d'hĂ©lium, puis rejoignent le ballet final oĂč 110 volatiles de toutes sortes vautours, aigles, faucons, ibis, marabouts, cigognes, pĂ©licans, etc. se croisent jusqu'Ă l'arrivĂ©e dĂ©concertante dans les cieux d'un ULM suivi d'une colonie d'oies. "Il faudrait cinq ans, avec les meilleurs oiseaux et sans limite d'argent, pour remonter le spectacle de A Ă Z", estime Jean-Louis LiĂ©geois. Tout finit par sembler si simple et naturel que le public ne soupçonne pas la masse d'efforts qu'il a fallu accomplir pour en arriver lĂ . Les autruches rĂ©alisent le tour du stadium dans un parc Ă roulette ? Qui se doute qu'il a fallu commencer par les balader pendant trois mois dans une bĂ©taillĂšre afin de rassurer ces volatiles trĂšs craintifs. Un cheval lancĂ© au galop chute au premier coup de fusil, lors de la CinĂ©scĂ©nie, et demeure immobile pendant trois minutes? Un exploit dont de trĂšs rares Ă©quidĂ©s sont capables, qui a nĂ©cessitĂ© de longs mois de patience. Un numĂ©ro de fauves montĂ© dans des arĂšnes gĂ©antes? Une prouesse, car toute la difficultĂ© rĂ©side pour le dompteur Ă garder le contrĂŽle de ses animaux Ă grande distance. A l'inverse de beaucoup de parcs d'attractions, le Puy du Fou ne s'est pas laissĂ© avaler par la technologie et a maintenu le cap du spectacle vivant... oĂč tout peut toujours arriver. Un faucon choisira de prendre le frais Ă 1 kilomĂštre d'altitude plutĂŽt que de piquer Ă 180 kilomĂštres-heure vers la scĂšne; tel lion est connu pour refuser catĂ©goriquement de travailler en cas de forte pluie... Les chorĂ©graphies nĂ©cessitent, elles aussi, d'incessantes rĂ©pĂ©titions pour Ă©viter l'erreur ou l'accident. Lorsqu'ils s'installent dans le théùtre pour voir Mousquetaire de Richelieu, les visiteurs n'imaginent pas que les acteurs assurent, une nouvelle fois, le filage de leurs combats d'escrime Ă l'arriĂšre du bĂątiment. Jusqu'oĂč le Puy du Fou compte-t-il aller? Personne ne se risque Ă le prĂ©dire. Les chiffres, en tout cas, donnent le tournis la fauconnerie rĂ©unit dĂ©sormais 420 oiseaux dont 250 de vol de 62 espĂšces diffĂ©rentes; les Ă©curies comptent 160 chevaux pour lesquels il faut livrer 600 tonnes de foin par an et qui produisent 1 500 tonnes de fumier... vendu comme engrais pour la culture des champignons de Paris; la CinĂ©scĂ©nie nĂ©cessite 500 kilomĂštres de cĂąbles et mobilise 1200 bĂ©nĂ©voles Ă chaque reprĂ©sentation... Une progression vertigineuse au risque de transformer le parc en industrie? "Nous ne sommes pas lancĂ©s dans une course au gigantisme mais Ă la beautĂ© et Ă la perfection", plaide Nicolas de Villiers. Sur la "colline aux hĂȘtres", les rĂ©flexions continuent d'aller bon train. Parmi les projets en cours, le dressage des Ă©cureuils, le lancement d'une radio FM pour accompagner les visiteurs en musique, dans leur voiture, Ă la fin de la CinĂ©scĂ©nie, ou l'Ă©tude d'un nouveau procĂ©dĂ© de diffusion du son qui passerait par la vibration des os! Ne dit-on pas que l'imagination ne connaĂźt pas de limites? Les plus lus OpinionsTribunePar Carlo Ratti*ChroniquePar Antoine BuĂ©no*ChroniqueJean-Laurent Cassely
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